Le perfectionisme est un masque pour la honte
Quand j'avais 20/25 ans, j'avais l'impression que je devais être et me comporter d'une certaine manière dans la vie et avec les gens. J'avais cette image de qui je devais et voulais être, et pourtant en même temps, j'avais l'impression que je n'arrivais pas à coller à cette image. Je voulais aller de l'avant et être sûre de moi, et surtout réussir tout ce que j'entreprenais. Mais malgré mes efforts - malgré le fait que je faisais tout ce qu'il fallait pour incarner cette personne - je n'arrivais jamais à maintenir cet état. C'est un sentiment terrible d'impuissance et d'incapacité. Il m'a fallu des années pour réaliser que c'était en fait la honte qui me motivait et m'empêchait de fonctionner.
Persévérer dans mes relations avec les gens & les situations que j'avais choisies et faire de mon mieux ne changeait rien à ce que je ressentais. Pire encore, ça me mettait en colère et me rendait irritable. J’étais tout le temps sur les nerfs et je détestais cette sensation. À terme, ce sentiment d'incapacité a déclenché mes addictions - l'addiction est un mécanisme qui nous permet de nous sentir en sécurité - qui à leur tour m'ont poussées à rejeter ces mêmes gens & situations afin que je puisse me concentrer davantage sur comment stopper mes addictions. C'est un cercle vicieux alimenté par la honte.
Par la force des choses, ces situations et mes relations finissaient toujours par me sembler étouffantes et ingérables : je détestais me sentir incapable de coller à mon idéal et j'avais l'impression que ces situations ou ces personnes faisaient obstacle à ce rétablissement que je m'auto-infligeais. Mes relations ne duraient pas plus de 3 à 6 mois, du moins sans interruption, parce que j'avais l'impression que je devais d'abord prendre du recul et être seule pour "me retrouver". Je me sentais désespérée et incapable d'être "normale".
La honte donne aux gens le sentiment qu'il y a une obligation de résultat dans tout ce qu'ils font.
Je n'étais pas pleinement consciente que j'étais celle qui entretenais ce cycle infernal. Je créais tous les paramètres qui m'amenaient à me sentir inadéquate : ces attentes auxquelles je m'accroche - mon soi-disant idéal - le besoin de les atteindre, la panique qui s'ensuit de ne pas y parvenir, le comportement addictif pour essayer d'échapper à ce sentiment d'impuissance, et la nécessité de reprendre le contrôle, ce qui impliquait toujours une certaine forme de retrait et de déconnexion, de moi-même et de mon environnement.
La nature sans fin de ce cercle vicieux me donnait le sentiment d'être incapable d'être qui je voulais être et incapable de me connecter véritablement et durablement avec qui que ce soit. Je ne comprenais pas ce qui n'allait pas chez moi, alors comment quelqu'un pourrait-il me comprendre ? Ça m'a aussi amenée parfois à me sentir coupable de mon propre comportement, car je savais que ça blessait des gens qui n'avaient rien fait de mal. Mais j'avais vraiment l'impression que je ne pouvais rien faire d'autre.
Avec le recul, je sais maintenant que ce n'était que le produit du sentiment de honte qui m'avait été inculqué et qui me faisait croire que je devais être et me comporter d'une certaine manière pour mériter une quelconque valeur, au lieu d'apprendre à écouter ce dont j'avais besoin et découvrir qui j'étais.
Il y a une énorme différence entre la culpabilité et la honte. La culpabilité nous permet de passer à l'action : elle concerne nos comportements, et les comportements sont assez faciles à ajuster. On a la capacité de les changer. Alors que la honte est une croyance fondamentale : vous pourriez vous comporter parfaitement et avoir toutes les preuves pour le justifier, vous aurez toujours l'impression que vous ne valez rien ou que vous avez fait quelque chose de travers. C’est parce que cette croyance ne repose pas sur vos actions mais sur votre perception de qui vous êtes. C'est la différence entre penser "j'ai fait quelque chose de mal" (culpabilité) et "je suis une mauvaise personne" (honte). Bien sûr, se comporter "parfaitement" aide à donner le change pendant un certain temps, mais on ne fera pas disparaître cette croyance tant qu'on ne prendra pas conscience que c'est précisément ce sur quoi nous devons travailler. Changer une croyance fondamentale demande de la vulnérabilité, de l'auto-compassion, de l'acceptation de soi et du temps.
Même avec le meilleur soutien du monde, changer une croyance fondamentale reste un parcours très personnel et personne ne sera en mesure de faire le travail à notre place. C'est difficile car il faut se concentrer sur le fond du problème et non sur les symptômes. Les symptômes - nos mécanismes de protection - sont déclenchés par notre corps et notre esprit quand on est incapable de gérer nos émotions. Essayer de traiter les symptômes dans l'espoir de pouvoir enfin coller à cet idéal au lieu de traiter nos sentiments nous poussera à nous déconnecter encore plus. Et ça ne fera pas disparaître la honte.
C'est ce que j'ai fait pendant des années; on se sent plus en contrôle pendant quelques mois, mais ça ne dure pas, car ça revient à traiter les symptômes sans traiter la cause. Parce qu'encore une fois, cette honte vient d'attentes qui ne sont même pas les nôtres, et nous forcer à y répondre ne fera que conduire à davantage de désalignement. Personne ne peut fonctionner s’il n’est pas en phase avec ses propres besoins. Ça revient à se punir en essayant d'être quelqu'un d'autre que nous-même. Personne n’est gagnant, en commençant par nous-mêmes.
Pour se débarrasser de cette honte, il faut commencer par se pardonner sincèrement de ne pas être ce que les autres ont projeté sur nous.
Ces personnes ne savent pas mieux que nous qui nous sommes censés être, elles projettent simplement sur nous leurs propres traumatismes et insécurités qu'elles n'ont jamais résolus.
Pour y arriver il faut commencer par se connecter à cette honte et admettre son existence. C'est un exercice extrêmement inconfortable. Il faut l'accueillir et accepter sa présence afin qu'à terme, on puisse la regarder et l'analyser avec suffisamment de recul émotionnel. Comme une entité autre. Ça revient à rassembler ces sentiments, comprendre les croyances qui les provoquent, admettre qu'elles sont responsables de cette honte qu'on ressent et qu'aujourd'hui elles impactent notre façon de penser, notre capacité à traiter nos sentiments, et nos comportements. Mais aussi comprendre qu'elles ne sont au final que ça : des croyances. Elles ne représentent pas qui nous sommes.
Pour nous aider à reprogrammer notre façon de penser, il nous faut apprendre à connaître et aimer qui nous sommes réellement. Ça fait peur, parce que cette honte est ce que nous avons toujours connu et sans elle, on pourrait avoir l'impression de ne pas savoir qui nous sommes réellement. Je sais que pour ma part j'avais très peur de découvrir qui j'étais sans cette honte. Et si je détestais cette personne ? Et sans ces attentes, comment puis-je savoir ce que je suis censée faire ou ne pas faire ? Et comment lâcher prise pourrait-il nous rendre meilleur ? Est-ce que ce n'est pas abandonner ?
J'avais peur de lâcher prise. Je pensais que mes comportements addictifs prendraient immédiatement le dessus si je n'essayais pas toujours d'atteindre ce moi idéal. Je pensais certainement que ces comportements définissaient qui j'étais, au lieu de les considérer comme une conséquence de ma honte.
De plus en plus d'études montrent que les addictions proviennent de l'incapacité à se connecter. Il y a une citation d'un TED Talk sur la toxicomanie :
"Le contraire de l'addiction n'est pas la sobriété, c'est la connexion".
Ils y parlent de nouvelles recherches et de preuves montrant que lorsque les gens peuvent enfin se connecter, ils ne cherchent plus à adopter de comportements addictifs et autodestructeurs. Ce qui signifie que la dépendance n’a rien à voir avec une incapacité chimique ou mentale à arrêter de faire quelque chose. C'est, et ça reste un mécanisme d'adaptation pour celles et ceux d'entre nous qui ne peuvent pas se connecter avec nous-mêmes, avec nos besoins et par conséquent avec quoi que ce soit et qui que ce soit d'autre.
J'ai écrit plus haut que la honte donne aux gens le sentiment qu'il y a une obligation de résultat dans tout ce qu'ils font. L'amour, par opposition, c'est dire : "Je suis là pour le parcours, quelle que soit la destination". C'est ce qu'il faut se répéter à soi-même.
Remplacer la honte par l'amour, changer cet état d'esprit prend du temps et nécessite de la pratique. Il faut être discipliné dans cette intention.
C'est un travail personnel, mais ça ne signifie pas que nous devons être seuls pendant le processus. Une personne de confiance ou un thérapeute peuvent nous aider à repérer les indicateurs qui font transparaître cette honte et nous aider à rediriger notre attention et nos efforts vers l'auto-compassion. Mais c'est très dur de partager ce qui nous fait nous sentir honteux - c'est déjà très dur de se l'avouer à soi-même - et il est difficile d'accepter l'aide et l'amour des autres tant qu'on refuse d'accepter de s'aider et s'aimer soi-même.
Commentaires
Voir tous les commentaires →Laissez un commentaire.Les champs marqués d'une * sont obligatoires. Votre email ne sera pas publié.
Reading your post, I was reminded of a Richard Feynman quote which I wrote down a couple of years ago:
"You have no responsibility to live up to what other people think you ought to accomplish. I have no responsibility to be like they expect me to be. It's their mistake, not my failing."
I found it liberating.
Looking for the full quote online right now, I stumbled upong this post, which seems fitting:
https://www.scotthyoung.com/blog/2018/08/27/richard-feynman-on-expectations/
"Often it’s not the expectations of other people that burn us out and make us miserable, but those we place on ourselves."
The part about setting the right standard spoke to me a lot too. It reminded me of a diagram I came across whilst studying music & yoga, showing that our flow state sits where we find the right balance between challenge and skills. Too much challenge compared to our skills leads to anxiety. Whereas not enough challenge for great skills leads to boredom. Either ways, when we aren't in a state of flow - balanced - we feel stuck.
Thanks for sharing that article :)
Its like you read my mind! You seem to know a lot about this, like you wrote the book in it or something. I think that you can do with a few pics to drive the message home a bit, but instead of that, this is magnificent blog. An excellent read. I'll certainly be back.