Yoga + Nourriture
Le panel des invités était composé de Tom Norrington-Davies, Carolyn Cowan, Hannah Whittingham et le Dr Melody Moore. J'ai trouvé que le choix des invités était vraiment malin car on pouvait clairement voir les différences de personnalités ainsi que d'approches du sujet, ce qui j'imagine met en avant la complexité du problème, et les diverses manières dont on peut travailler dessus. Je ne vais pas écrire un compte-rendu détaillé de tout ce qui a été discuté dans ce podcast, mais je voulais partager avec vous certains des moments-clefs, les passages qui m'ont le plus parlés. Quelques citations qui m'ont faites réfléchir.
“Si la nourriture peut être "propre", alors elle peut aussi être "sale" - Tom Norrington-Davies
("If food can be clean, it can also be dirty ") Tom nous a parlé du fait de pathologiser la nourriture, ainsi que de la notion d'orthorexie, qui est le fait d'être obsédé par ce qui est bon et mauvais pour soi. La malbouffe est montrée du doigt et de plus en plus de marques jouent sur le fait que leur produits participent à manger sainement. Mais si on peut manger sainement ça veut aussi dire qu'on peut manger malsainement.
Faire la promotion du manger sain comme si c'était la bonne façon de manger revient à mettre une étiquette "mauvais" sur certains aliments et groupes d'aliments. Il devient alors honteux de s'autoriser ces aliments. Tom nous a également rappelé qu'un cuisinier n'est pas un nutritionniste. Ça semble évident dit comme ça mais étant donné que l'internet offre désormais une plateforme sur laquelle tout un chacun peut s'exprimer librement, il suffit d'avoir un minimum de compétences en communication pour se faire entendre. Ça ne veut pas dire pour autant que tous ceux qui parlent de nutrition sont qualifiés et correctement informés. Par ailleurs, de nombreuses marques surfent sur la vague du manger sain en promouvant la "nourriture qui est bonne pour vous". C'est de la publicité, pas de l'information. Mais aussitôt l'idée de nourriture "propre" plantée dans nos esprits, apparaît alors automatiquement sa némésis: la nourriture "sale", mauvaise, dont-il-faut-avoir-honte.
Ça me parle énormément: quand j'étais au plus fort de mes troubles du comportement alimentaires, j'ai identifié - avec l'aide de ma thérapeute - que certains aliments déclenchaient mes crises alors que d'autre m'aidaient à les arrêter. Manger une pomme par exemple avait le don de me calmer et de me rassurer. Le problème c'est que je ne mangeais pas cette pomme parce que j'avais faim, je la mangeais parce que j'étais excessivement anxieuse et que j'avais besoin de contrôler mon anxiété. Et puisque mon esprit avait associé ce fruit avec une bonne étiquette, ça lui donnait le pouvoir de me calmer. L'inverse était également vrai: certains aliments m'angoissaient systématiquement et déclenchaient la spirale infernale vers une violente crise de boulimie. Etrangement, parfois certains aliments considérés comme sains déclenchaient mon anxiété. Ce qui prouve bien que ça n'a rien à voir avec l'aliment lui-même, mais juste ma perception de cet aliment. À aucun moment dans cette relation à la nourriture n'était-il question de faim ou de plaisir. Quand on y pense, c'est vraiment une façon erronée de penser à la nourriture.
Pendant ma formation de professeur de yoga, nous avons étudié un chapitre sur les Gunas. Sudhir nous a parlé des trois états, comment passer de l'un à l'autre et pourquoi il est important de trouver un équilibre entre ces trois état. Il a été clair sur le fait qu'il n'y a pas de problème en soi avec tamas tant qu'on reste dans cette quête d'équilibre. C'est l'enseignement le plus important que j'ai tiré de ma pratique du yoga jusqu'ici - travailler à rechercher l'équilibre a tendance à me calmer et me rendre plus heureuse, que ce soit dans la façon dont j'approche, réagis aux choses, ou mange.
"L'addiction est un mécanisme visant à nous protéger" - Carolyn Cowan
("Addiction is a mechanism to keep ourselves safe") Je me rappelle la première fois que j'ai qualifié mon problème d'addiction - c'était 2 ans après le début de mon anorexie et peu après que la boulimie ait pris le relais. Quand j'ai partagé cet angle de vue avec les gens autour de moi qui ne savaient pas ce qu'étaient l'anorexie ni la boulimie (le genre de personne qui blague en disant qu'elle espère 'attraper' l'anorexie afin de perdre 1 ou 2 kilos) ils ne voulaient pas croire que ces troubles du comportements puissent être qualifiés d'addiction. Pourtant, de la même façon qu'on peut être addict à l'alcool ou la drogue parce que ça nous aide à éviter de faire face à un sentiment qu'on n'arrive pas à gérer, l'anorexie et la boulimie sont des habitudes dans lesquelles on tombe qui nous 'aident' à gérer notre stress en nous donnant l'impression de contrôle. C'est un mécanisme de défense qui se met en place quand notre esprit ne peux pas gérer la situation.
J'ai étonnement réussi à comprendre ça assez rapidement, cependant je suis passée à côté de l'aspect positif de ce que ça voulait dire: si les troubles du comportement alimentaire ne sont pas une maladie, quelque chose de physique qui cesse de fonctionner comme une insuffisance rénale ou un cancer, ça signifie que ce n'est pas quelque chose sur lequel on ne peut pas agir. C'est quelque chose qu'on s'est construit, un mécanisme dans lequel on s'est perdu pour quelque raison que ce soit. Et donc on peut en sortir. J'aurais aimé l'avoir réalisé à l’époque.
Cependant se sortir d'une habitude demande de l'attention constante. La première fois que ma thérapeute m'a dit qu'elle allait m'aider à vivre avec mon trouble du comportement alimentaire, j'ai détesté ce que j'ai entendu. Je ne voulais pas vivre avec ça, je voulais tout oublier et m'en débarrasser une bonne fois pour toute. Je n'avais alors jamais vue de thérapeute de ma vie ni n'avais imaginé en voir un jour. Je pensais au départ qu'elle me poserait des questions sur mon enfance jusqu'à ce que quelque chose clique et que mes troubles du comportement alimentaire disparaissent comme par enchantement. Le tout avec un flashback en noir et blanc sur une bande originale dramatique à base de violons.
Sauf que ce n'est pas exactement comme ça que ça fonctionne - du moins pas pour moi. Aujourd'hui je comprends effectivement mieux comment et pourquoi j'ai mis spécifiquement ces mécanismes de défense en place et c'est évidemment en partie du à des gens et des évènements de mon passé, mais les mécanismes eux-même sont avant tout des routines que mon esprit a mis en place. Des portes de sortie, des issues de secours. Et le meilleurs moyen de ne pas prendre ce chemin est d'éviter de me mettre dans des situations où je me sentirais si stressée et en danger que mon esprit passerait en mode survie.
Après une courte période de déni puis de colère, j'ai réalisé que ne pas me mettre dans des situations stressantes était en réalité une très bonne chose à plein de niveaux. Avoir une routine permet de mieux apprécier l'aventure. Et apprendre à dire non est la chose la plus valorisante que j'ai apprise; contrairement à ce que pouvaient penser les gens qui me connaissaient à l'époque, c'est à ce moment là que j'ai vraiment eue confiance en moi. Je me suis faite passer en premier et j'ai commencé à rompre le cycle.
“Le perfectionnisme est le masque de la honte” - Carolyn Cowan
("Perfectionism is the mask of shame") Le perfectionnisme est un concept étrange. Quand lors d'un entretien on vous demande de citer vos principales qualités ou défauts, le perfectionnisme fait toujours office de réponse joker car on ne peut pas vraiment dire dans laquelle des deux catégories il se trouve. Qui peut vous reprocher de faire les choses parfaitement? Mais en même temps quel est le coût de l'insatisfaction chronique? Quand Carolyn a affirmé que c'est la honte qui nous pousse dans cette quête de perfection, ma première réaction fut de penser que c'est bien là une réponse de paresseux, qui a la flemme de faire les choses correctement. Puis j'ai pris quelques instants pour réfléchir; être perfectionniste signifie ne jamais être pleinement satisfait. Qu'est-ce qui pousse les perfectionnistes à toujours courir après un idéal de perfection, sachant qu'il demeureront éternellement insatisfaits? Pourquoi ne sont-il jamais contents de la façon dont ils font les choses? Pourquoi veulent-ils toujours aller plus loin? Personnellement, c'est parce que je ne veux pas être perçue comme étant fainéante. Parce que pour moi, être fainéante est quelque chose de honteux. Nous y voilà.
Je ne dis pas que c'est une mauvaise chose que d'essayer de s'améliorer, mais ça n'est définitivement pas une bonne chose que ne pas être capable de reconnaître le progrès et d'en être content. Comme si ça nous empêcherait de nous améliorer par la suite, et comme si ne pas vouloir s'améliorer ferait de nous de moins bonnes personnes. Je m'en suis clairement rendue compte il y a quelques mois pendant un cours de vinyasa auquel j'assistais, quand la prof nous a offert des options adaptées pour chaque 'niveau'. Comme toujours, elle a insisté sur le fait qu'il n'y avait aucune obligation de prendre une des options proposées et qu'il fallait toujours s'écouter avant de décider quelle option choisir. Et comme toujours, j'ai choisi l'option la plus 'avancée' sans y réfléchir à deux fois. Elle nous a ensuite demandé de réfléchir à la raison pour laquelle on avait choisi cette option. Pourquoi, si on a tendance à toujours choisir l'option la plus difficile, fait-on cela. Qu'est-ce qui nous y pousse.
Le problème avec le fait de ne jamais être content de nous-même est, encore une fois, comment cela affecte notre perception. Le sentiment de ne jamais être assez, qu'on traine insidieusement dans tout ce qu'on fait, et qui peux affecter notre estime de nous-même. "Je suis perfectionniste car sinon je me sens comme une merde et je me reproche de ne pas être assez. Personne ne peut rien me reprocher si je fais toujours tout parfaitement.". Ouais, définitivement un masque de la honte. Depuis que j'ai commencé à pratiquer le yoga, mon état d'esprit a énormément changé. J'ai échangé ma quête de perfection contre une quête d'équilibre. Et croyez-le ou non, c'est en réalité plus difficile. J'ai souvent besoin de rappels. Je dois prendre quelques instants pour réfléchir avant de me lancer tête baissée dans des choses de façon spontanée. Je dois me demander pourquoi, et s'il s'agit de quelque chose dont mon corps a besoin, ou si c'est mon esprit qui décide de passer outre.
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